Quand l'enfant s'émerveille
Plus rien ne m’étonne, dit l’éducateur blasé, pas même que les enfants paraissent revenus de tout.
Ils ne s’émerveillent plus…du latin mirari qui signifie s’étonner et dont dérive le miracle. Ah! ces classes lourdes
où l’élève mesure par des bâillements et des rêves l’étonnante longueur de l’heure (Valéry). C’est bien du seul miracle qu’on peut espérer quelque émerveillement!
Quant à l’enthousiasme, voilà encore un miracle… du grec cette fois: En-theos, en gros, avoir Dieu en soi. Rien que cela! A défaut d’enthousiasme ou d’émerveillement, on essayera au moins l’étonnement,
dont on dit qu’il est au principe de toute philosophie.
Emerveillement, enthousiasme et étonnement diffèrent par la manière dont ils se
manifestent. L’émerveillement est un climat serein, doucement perturbé de quelques émotions lentes et silencieuses. L’enthousiasme fait plus de bruit. Il est une forme d’incandescence qui porte l’esprit au blanc,
avec parfois le corps et les sens émoustillés. Quant au simple étonnement, il peut consister en un flegme « so british », bien plus paisible que le tonnerre à l’origine de son nom. Au Collège,
notre professeur de biologie nous disait toujours: « Messieurs, dans la vie, il faut s’étonner et ne s’énerver jamais. »
On s’émerveille, on s’enthousiasme devant un exploit, une oeuvre, une épiphanie de la nature ou l’autre aimé. Devant – parfois pour notre perte – un discours politique, idéologique ou religieux.
Les dictateurs, les prédicateurs de tout poil sont des maîtres dans l’art de séduire, d’éveiller donc les plus béats émerveillements ou les enthousiasmes les plus fanatiques. L’émerveillement
ne vaut que par son objet.
Et à l’école? Comment motiver les élèves confrontés à l’enchevêtrement des règles
d’accord du participe passé, aux rigueurs d’un théorème à démontrer ou appliquer, aux supplices d’un vocabulaire à mémoriser, comme ces noms de fleuves si éloignés? Voilà
des objets qui paraissent étouffer la flamme des dieux intérieurs. A la maison, remplacez les participes par la participation à la vaisselle et le théorème par l’heure du coucher, le dilemme demeure entier.
Antoine de La Garanderie considérait la motivation comme la raison de choisir, dans laquelle la conscience se reconnaît, que la conscience fait sienne, parce
qu’elle se sent prise par elle.
La conscience se sent prise par une
raison de choisir! Pas une envie fugace mais bien une raison de choisir. Nous associons trop souvent l’émerveillement à une frénésie momentanée de la sensibilité. Dès lors, cherchant à transmettre
quelque connaissance à nos enfants ou réclamant d’eux quelque discipline élémentaire, nous sommes tentés d’éveiller leur intérêt en les chatouillant là où cela les amuse ou leur
procure quelque excitation souvent étrangère à l’objet de connaissance lui-même.
Or, la raison de choisir les objets de connaissance
que propose - par exemple - l’école ne peut consister qu’en ce que l’élève y reconnaisse le Beau, le Bien et le Vrai. Et pour que l’enfant s’y re-connaisse, il faut qu’il y ait été suffisamment
exposé dès les premiers instants de sa vie. Si son univers est de laideur, de mépris de l’autre et de mensonge, rien de ce qui relève du Beau, du Bon et du Vrai ne saurait être reconnu dans les objets que nous lui proposons
de connaître. Plus de raison de choisir, plus de motivation.
L'émerveillement, selon le neurobiologiste Gerald Hüther, est un engrais pour le
cerveau. Cet engrais nourrit le cerveau à condition que l’élève devienne un pédagogue à l’égard de lui-même (La Garanderie), autrement dit, le maître transmet à l’élève
des structures de sens devant lui abandonner le soin de découvrir par lui-même le sens de ces structures. C’est ainsi seulement que l’élève se sent pris par les raisons de choisir. Cela vaut pour la pédagogie,
mais aussi pour tout acte éducatif.
Le Talmud insiste déjà sur le caractère volontaire et choisi de ce qui pousse à l’action:
il ne s’agit pas d’être étonné mais de s’étonner et donc de se déprendre de l’habituel qui possède en propre cet effrayant pouvoir de nous déshabituer d’habiter
l’essentiel, et souvent de façon si décisive qu’il ne nous laisse plus jamais parvenir à y habiter. (Heidegger)
Comme la motivation
– qui est un acte – l’étonnement est une attitude que l’on choisit: (il n’est pas) une réaction par rapport au monde, c’est un acte délibéré, volontaire, totalement actif et créatif
à la fois. L’origine de cet étonnement ne se trouve pas dans le monde, mais dans l’homme. (M.-A. Ouaknin)
Libérer chez l’enfant
sa capacité d’émerveillement, d’enthousiasme ou simplement d’étonnement, c’est exercer son regard à s’aviser de la promesse des êtres et des choses. Un miracle qui est à la fois la source
et le fruit de la connaissance.
(une autre version de ce texte est parue dans la revue Résonances d'octobre 2019)
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